Difficile de mesurer quantitativement l’ampleur prise aujourd’hui par les thèses complotistes. Néanmois, un consensus assez large s’inquiète de son augmentation. Comment expliquer cette expansion ?
Le conspirationnisme a toujours bénéficié du développement des thèmes complotistes dans les œuvres de fiction. Il a su profiter d’Internet pour se diffuser et bénéficie des biais induits par l’usage des réseaux sociaux et le fonctionnement de leurs algorithmes.

Pensée complotiste et œuvres de fiction
Le conspirationnisme a toujours bénéficié du développement des thèmes complotistes dans la fiction (séries, cinéma, littérature). Déjà, au XIXe siècle, les penseurs complotistes exposent leurs idées dans des livres, des pamphlets et des journaux. Au XXe siècle, la littérature feuilletonnesque décrit les activités de criminels liés à des sociétés secrètes, comme Fantômas.
Les films américains, réalisés avant et après la Seconde Guerre mondiale, orchestrent ensuite un combat entre le bien et le mal, mettant en scène des agents maléfiques visant à asservir le monde pour le compte des nazis, des communistes ou de sociétés secrètes criminelles (le Spectre, dans James Bond). Les héros restent quant à eux d’inspiration fantaisiste ou pseudo-patriotique.
Dans les années 1990, l’intérêt de séries pour les thèses complotistes comme X-Files ou V semble avoir précédé de quelques années la recrudescence du complotisme. Ces séries inspirent la complosphère sur le fond (reprise des thématiques, des adversaires…) et sur la forme (scénarios complotistes alternant suspens et révélations).

Dernièrement, une série comme Game of Thrones offre un final riche en complots, mensonges et trahisons qui contribuent largement à son succès public.
En 2003, la sortie du roman Da Vinci Code de Dan Brown (86 millions d’exemplaires vendus en 2010) donne un crédit considérable aux thèses conspirationnistes. Grâce à lui, les Illuminati deviennent mondialement connus, d’autant plus que l’auteur reste ambigu sur la frontière entre réel et mensonge.
En savoir plus : Le conspirationnisme et ses échos dans la fiction et la réalité (France Culture)
Une propagation accrue via Internet et les réseaux sociaux
Internet a profondément transformé les relations entre les individus, les groupes et les institutions. « Sans filtre régulateur et sans instance de contrôle, les messages s’échangent puis se diffusent avec une ampleur considérable », expliquent Jérôme Grondeux et Didier Desormeaux.
Au début des années 2000, les attentats du 11 septembre 2001 constituent le premier évènement dont s’emparent massivement les internautes. Alors que les images tournent en boucle dans les médias traditionnels, Internet fait connaître des théories alternatives remettant en cause les faits et attribuant au gouvernement américain la volonté de comploter pour reconquérir le monde arabe. Les conspirationnistes utilisent Internet pour dénoncer la conspiration supposée et exposer leur vérité.

Internet joue un rôle fondamental dans la diffusion des idées conspirationnistes :
- en offrant à chacun la possibilité de devenir producteur de contenus ;
- en faisant circuler rapidement les contenus. Internet est devenu une chambre d’écho privilégiée pour les tenants du conspirationnisme, « un accélérateur de particules complotistes », tel que le qualifie le journaliste Laurent Bazin ;
- la viralité des réseaux sociaux permet de propager des messages et de les étendre sans fin, puisque le réseau est mondial ;
- Internet est le lieu où la « société de défiance » s’exprime le mieux. La confiance dans toutes les institutions productrices de normes (État, organisations internationales, institutions scientifiques, syndicats, presse…) s’érode rapidement. La culture du soupçon s’est généralisée sur Internet en même temps que les institutions sont désacralisées.
Plusieurs études le confirment : les jeunes s’informent principalement sur Internet. 71% des 15-34 ans consultent quotidiennement l’actualité via les réseaux sociaux, ces derniers étant, pour cette génération, le premier mode d’accès à l’information. Dès lors, ils peuvent constituer des cibles des conspirationnistes. Pour Tristan Mendes France, spécialiste des nouveaux usages numériques : « Nous ne sommes pas là où ils sont eux », surtout depuis l’avènement d’une nouvelle ère du web social (Twitter, TikTok, Instagram…). Or ces réseaux permettent la mise en relation des personnes qui partagent une même vision du monde.
L’écueil des bulles de filtres
Concept développé par le militant d’Internet Eli Pariser, les bulles de filtres ou de filtrage » désigne l’enfermement cognitif que produit le fonctionnement d’Internet auprès de l’un de ses utilisateurs lorsque des algorithmes sélectionnent pour lui les informations auxquelles il aura prioritairement accès. En plus de notre tendance à préférer les contenus qui confirment ce que l’on pense déjà – le « biais de confirmation » -, les algorithmes contribuent à nous enfermer dans une bulle où rien ne pénètre, à part les informations auxquelles on adhère à priori.
Ces algorithmes orientent les recherches en proposant automatiquement des contenus en lien avec ce qu’on a consulté précédemment, guidant l’internaute vers des contenus qui vont soit le conforter dans sa vision du monde. Avec Facebook, les actualités apparaissent aussi en fonction du comportement de ses « amis ». Ainsi, des communautés se créent ainsi autour de croyances qu’elles entretiennent, diffusent et promeuvent.
Sources : Jérôme GRONDEUX et Didier DESORMEAUX, Le complotisme : décrypter et agir, Editions CANOPé, 2017 ; Edgar SZOC, Dossier de la journée d’étude « Réagir face aux théories du complot (2016) ; Rudy Reichstadt, Laurent Bazin et de Nicolas Vanderbiest,« Les entretiens du SIG » (Service d’Information Gouvernemental), février 2015.
Proposée par la Ville de Strasbourg, en partenariat avec l’Education nationale et avec le soutien du Club de la presse et du Centre universitaire d’étude du journalisme, la trame de ce support a été conçue pour répondre aux besoins concrets des enseignants et intervenants en milieu scolaire. [Télécharger la trame de ce support]