Les théories du complot répondent au besoin d’expliquer les informations qui nous parviennent. Elles sont d’autant plus séduisantes que le « récit complotiste » propose du monde une vue d’ensemble. C’est le pivot fondamental à analyser et à comprendre dans la perspective d’une lutte efficace et à long terme contre le complotisme.

Si farfelues soient-elles, les idées complotistes fascinent. « Il n’y pas de fumée sans feu ». Grande dès lors est la tentation d’y croire, d’autant que toute thèse complotiste contient « un fond de vérité » plus ou moins important. À l’origine de ces croyances illogiques réside un défaut de raisonnement, que nous développons tous.
Pourquoi est-il si plaisant de souscrire aux thèses complotistes ? Plusieurs ensembles d’explications peuvent être avancés pour comprendre ce mode de pensée instinctif : psychologiques, sociologiques et psychosociales.
Des explications psychologiques
Pour les psychologues, différents biais « cognitifs » (la « mécanique de la pensée ») seraient à l’œuvre dans l’adhésion au théories conspirationnistes. Mis ensemble, ces biais favoriseraient l’adéquation de notre système cognitif aux théories du complot. Bref, nous serions « neuronalement » préparés à accepter la théorie du complot.
Les spécialistes insistent sur le rôle de 3 biais cognitifs :
- Le biais d’intentionnalité : les individus ont tendance à percevoir une volonté derrière ce qui est fortuit ou accidentel, selon Pierre-André Taguieff. Par exemple, une simple maladresse sera interprétée comme une agression (ainsi l’accident de Lady Di devient un acte délibéré, le fruit d’un complot).
- Le biais de confirmation : Les individus ont tendance à chercher la confirmation de ce qu’ils croient déjà savoir au lieu de se confronter à d’autres opinions qui invalideraient leurs idées. Par exemple, si l’on est persuadé qu’il y eu un complot à l’origine des attentats du 11 septembre, on va chercher sur internet des informations qui vont dans ce sens. Et l’on va en trouver à foison.
- Le biais de conjonction (ou corrélation) : il correspond à la tendance à surestimer la corrélation entre deux évènements distincts en réalité.
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D’autres biais cognitifs sont à l’œuvre :
- Le biais de simple exposition : être confronté à quelqu’un ou quelque chose de façon répétée encourage les sentiments positifs envers cette personne ou cette chose.
- Le biais de proportionnalité : il considère qu’un évènement important se doit d’avoir une cause importante (l’assassinat de JF Kennedy et ses diverses théories du complot), alors qu’un évènement semblable mais d’un moindre retentissement (l’échec de la tentative d’assassinat contre Reagan) peut parfaitement être attribué au fruit du hasard et ne susciter aucune théorie du complot.

- La persistance dans les croyances : la croyance en une information persiste même lorsque celle-ci se révèle fausse.
- L’effet d’attraction similaire : la tendance à chercher des gens qui nous ressemblent et qui partagent nos idées.
- L’hyperphagie assimilatrice : certaines personnes intègrent, dans la justification d’une théorie, tout ce qui est présenté, y compris les faits qui semblent invalider leur théorie. Ainsi, lorsque des faits réfutent leur théorie du complot, ses adhérents n’y voient bien souvent qu’une « tentative de camouflage » qui valide leur théorie (telle la carte d’identité présentée par Barack Obama pour justifier de sa nationalité américaine qui ne serait qu’un faux).
Des explications sociologiques
Les explications sociologiques mettent en avant l’évolution des sociétés pour expliquer l’adhésion aux théories du complot.
- Un premier courant associe le développement du conspirationnisme à un « excès d’institutions ». Pour Timothy Melley (Miami university) , spécialiste de la culture populaire, le conspirationnisme est l’expression d’une crise de l’individu et de son autonomie, ainsi que de son angoisse face au pouvoir croissant, technocratique et bureaucratique des administrations[2]. Ainsi considère-t-il que la théorie du complot est un élément essentiel de la culture américaine d’après-guerre.
- Pour un autre courant, les théories du complot naissent à l’inverse de la disparition des « institutions structurantes ». Selon le juriste américain Mark Fenster, le développement des théories du complot résulte du déclin de la société civile traditionnelle (mouvements politiques, syndicalistes et religieux) qui laisse désemparés les groupes les plus fragiles [3]. Pour Pierre-André Taguieff, les théories du complot répondent à ce besoin de « ré-enchantement du monde ».
Des explications psychosociales
Pour Rudy Reichstadt, le succès de la théorie du complot répond à 4 fonctions psychosociales :
- Fuir le réel pour demeurer dans le confort de ses certitudes. Peu importe que les explications avancées se contredisent, l’important réside dans l’idée générale que l’« on nous ment » et que « la vérité est ailleurs ». Les complotistes se mettent ainsi en valeur par leur anticonformisme.
- Procurer un sentiment de gratification personnelle. Pour ceux qui y adhèrent, le « complotisme » donne en effet l’impression de comprendre le monde mieux que les autres, d’être « un initié » par rapport à la masse des « crédules », de prendre une revanche sur le monde savant.
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- Se rassurer face à une situation de sidération. Lors d’évènements exceptionnels ou accidentels, comme l’assassinat d’un président ou la mort accidentelle d’une princesse en plein Paris, les théories conspirationnistes leur attribuent une cause intentionnelle. Elles construisent ainsi un réel simplificateur et apportent un sentiment réconfortant de compéhension. Elles permettent de rationaliser l’évènement en lui attribuant une cause « maléfique », en le liant à d’autres évènements, et en laissant penser que le hasard n’existe pas.
- Produire du sens dans une situation « d’anomie ». En désignant un coupable, les théories conspirationnistes permettent d’expliquer et d’incarner des phénomènes qui dépassent et déstabilisent l’individu, comme la mondialisation.
[1] GRONDEUX Jérôme, DESORMEAUX Didier, Le complotisme : décrypter et agir, Editions CANOPé, 2017.
[2] MELLEY Thimoty, Empire of conspiracy : the culture of paranoia in postwar America, Ithaca, 2000.
[3] FENSTER Mark, Conspiracy theories, Secrecy and Power in American Culture
[4] Rudy Reichstadt, « Conspirationnisme : un état des lieux », Notes de la Fondation Jean-Jaurès – Observatoire des radicalités politiques, n° 11 (disponible en ligne sur le site de la fondation).
[5] Rudy Reichstadt, Déconstruire le conspirationnisme, rubrique du SIGLab (blog du site d’information gouvernemental).
Sources : La théorie du complot, pourquoi y croit-on ?, support animateur ; Le complotisme : décrypter et agir, Jérôme Grondeux, Didier Desormeaux ; « On n’a pas marché sur la Lune »: 10 arguments face aux complotistes, Le Figaro ; Pourquoi tant de gens croient aux théories du complot, Ouest-France ; Mark Fensterark, Conspiracy theories, Secrecy and Power in American Culture ; Rudy Reichstadt, « Conspirationnisme : un état des lieux » et Déconstruire le conspirationnisme, Pierre-André Taguieff, Sophie Mazet, les sites Wikipédia, SIG Lab, et Conspiracy Watch.
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